Archives pour la catégorie « L’ombre d’un doute »

Haute Société –  Charles Walters (1956) vu par Michel Senna 

Le confinement amène parfois à entreprendre des choses que l’on ne pensait jamais faire comme regarder « Haute société » de Charles Walters que je m’étais toujours refuser de voir de peur de m’ennuyer furieusement avec un film très formaté et de surcroît chanté, ce qui est loin de me ravir.

Force est de constater que ce remake très coloré d’Indiscrétions excellente comédie de mœurs de George Cukor qui réunissait en 1940 Katharine Hepburn, Cary Grant et James Stewart, n’est pas exactement le film soporifique que j’avais imaginé.

Le mérite en revient à son héroïne Grace Kelly dans un rôle assez troublant par rapport à sa propre vie. La comédienne avait déjà montré ses talents d’actrice chez Hitchcock, Zinnemann ou encore sous la direction de George Seaton pour lequel elle surprenait dans Une fille de la province, en épouse protectrice et un peu négligée empêchant, malgré elle, son mari alcoolique (Bing Crosby), de renouer avec le succès à Broadway. Un rôle qui lui valut un Oscar en 1954.

Grace Kelly succède donc à Katharine Hepburn dans le rôle d’une femme du monde – Tracy Lord – au cœur soit disant froid comme de la pierre, qui s’apprête à se marier avec un homme d’affaires ennuyeux et strict. Heureusement, son ancien mari (encore Bing Crosby), qui sait profiter de la vie, saura la reconquérir, après qu’elle ait flirtée, l’alcool aidant, avec un reporter sympathique et blasé (Frank Sinatra). Ce dernier se rendra lui-même compte de son attachement pour sa collègue et amie journaliste (Céleste Holm).

Tout est bien qui finit bien sauf pour l’antipathique prétendant, dindon de la farce renvoyé dans ses 22.

Et c’est là que le film est assez singulier car le comédien (John Lund) héritant de ce rôle un peu ingrat ressemble avec sa petite moustache au Prince Rainier que Grace Kelly s’apprête à épouser après ce tournage. Et bien dans Haute Société, il se passe exactement le contraire. Elle ouvre les yeux sur ce que risque d’être son mariage et refuse d’être la gentille épouse, bien élevée et attentionnée d’un mari un peu suffisant, jaloux et autoritaire.

Ajoutons à cela qu’elle conduit très vite dans une décapotable (ce qu’elle faisait dans La main au collet), comme attirée par la vitesse et par un destin inexorable sur des routes sinueuses.
Toujours est-il que pour sa dernière apparition au cinéma, Grace Kelly se lâche davantage, son rôle le permettant, et compose un personnage tour à tour cynique, drôle, revêche et mélancolique. Sa beauté n’en est que plus rayonnante, notamment dans la longue séquence autour de la piscine.

Comédie musicale oblige, Louis Armstrong invité à la noce, nous régale de sa présence ouvre et ferme généreusement le film. Son duo avec Bing Crosby est également un bon moment, ainsi que les autres chansons, y compris celles plutôt discrètes de Sinatra, qui ne ralentissent pas trop l’action. (Mais dont on n’aurait pu se passer quand même).


Bien que sans éclat dans sa mise en scène, Haute Société est plutôt plaisant et intéressant à voir en considérant que Grace Kelly y a peut-être – consciemment ou non – enterré une partie d’elle-même en plus de sa carrière de comédienne.

« Les trésors de Marcel Pagnol » de Fabien Béziat

« Les trésors de Marcel Pagnol »
Réalisation : Fabien Béziat
Replay TV5 Monde
par Céline Recchia

L’aventure tant industrielle qu’artistique de Marcel Pagnol dans le cinéma français
En deux mots : A VOIR !
En plus de mots : En préalable, je voudrais confesser que, bien que très attachée à l’univers de Pagnol, en particulier pour sa trilogie maintes et maintes fois revue à la télévision depuis mon enfance, je me faisais de lui une idée très en deçà de celle que le documentaire nous permet heureusement de découvrir.

Mais avant trop de compliments, quelques égratignures d’Henri Jeanson à propos de son ami Pagnol, dont il dit qu’ « il n’a qu’un défaut » : il aime trop ses amis. « Il ne supporte pas de les voir souffrir. Quand on est malheureux, quand on souffre, il disparaît. (…). Actuellement je suis très heureux, je me porte à merveille. Mais il y a deux ans que je ne l’ai pas vu. Il doit me croire au seuil de l’agonie ». Ambiance…Il rend hommage à sa plume subtile et classique, mais à propos de Marseille, Jeanson écrit : « Tous ses personnages sont de braves types. Ils appartiennent à un Marseille sans gangsters et sans politiciens. ».

On entend bien sûr le point de vue de Jeanson, mais, et revenons-en au documentaire qui constate que pour Pagnol c’est « un Marseille suspendu au bord du temps, comme ses bateaux miniatures qui voguent éternellement enfermés dans des bouteilles. Un Marseille immuable vu à travers les yeux d’un enfant. ».

Et l’on découvre un jeune homme talentueux et très ambitieux. Fondateur avec d’autres camarades de la revue « Les Cahiers du Sud », s’efforçant après la Première Guerre mondiale de développer ses talents d’inventeurs – il déposera « des dizaines de brevets » – il parvient, étant devenu enseignant, à se faire nommer à Paris où il deviendra professeur d’anglais au lycée Condorcet. A Paris, il entrevoie sa route. Son ami d’enfance Paul Nivoix y est critique littéraire, il lui permettra de pénétrer le milieu du théâtre et du music-hall, aide précieuse durant ces années de vache enragée.

J’avais comme beaucoup, une vision tronquée de Pagnol. Si je voyais bien la gravité pour l’époque des sujets abordés dans ses films, j’ignorais le culot dont il a fait preuve, par exemple avec son premier succès au théâtre, écrit avec Paul Nivoix, « Les Marchands de Gloire », « pièce qui éreinte l’hypocrisie des va-t-en guerre et de l’armée », et puis le retentissement de « Topaze », toujours au théâtre, et qui lui apportera la fortune. On apprend que « Topaze » fera l’objet de neuf adaptations au cinéma !

Ce que l’on ne mesure pas toujours non plus c’est l’importance primordiale que Pagnol a eu sur les carrière de Raimu et de Fernandel. Fernandel lui-même nous apprend que Pagnol a su résister à ceux qui lui déconseillaient de le faire tourner, au motif que Fernandel « avili tout ce qu’il touche »…! Ce choix de Fernandel, il a même dû le défendre face à Giono.

Et Pagnol a même résisté à Raimu lorsque celui-ci voulait le décourager absolument d’engager Pierre Fresnay, au motif qu’un Alsacien ne peut pas jouer un Marseillais avec un accent d’importation !

Je profite de cette anecdote pour vous signaler un entretien entre Bernard Blier et Philippe Bouvard, entretien où Bernard Blier cite brièvement cette divergence, mais qui vous fera découvrir la rencontre Blier-Raimu et bien d’autres anecdotes là aussi.Ce documentaire donne à voir l’audace de Pagnol en matière cinématographique.

L’audace tout d’abord de Pagnol lors de l’arrivée du cinéma parlant. Pagnol appui sur le caractère universel qu’avaient les films muets, cependant, prédisant un avenir certain au cinéma parlant, il se met à dos ses amis du théâtre comme ceux du cinéma. René Clair en témoigne : « Nous nous sommes insultés, nous n’avons pas arrêté ! », cela se faisant par voix de presse, car, dit-il encore : « J’ai toujours été incapable de discuter avec Marcel parce que dès que je le vois il me charme, alors j’abandonne toutes mes théories ! » (d’ailleurs Fernandel dit lui même « mais on ne se fâche pas avec Pagnol…avec Pagnol on est toujours ami ou on est toujours fâché ! »).

Preuve de l’avenir assuré du parlant, la construction en banlieue Est de Paris des studios de la Paramount, outils de production industrielle des films parlants. C’est la Paramount qui proposera à Pagnol l’adaptation à l’écran de « Marius ». Pagnol bataillera pour que les comédiens de la pièce soient ceux qui interpréteront le film. La production cède mais impose le réalisateur qui sera Alexandre Korda. Preuve de cette force de frappe industrielle, on rappelle que les trois versions tournées en simultanées par trois équipes : la version française, la version suédoise, et la version allemande, chose classique – courante – à l’époque pour les grands studios.

Mais Alexandre Korda n’ayant en fait jamais tourné de film parlant, il propose à Pagnol de partager le travail, lui s’occupant de la photographie, et Pagnol des acteurs. Ainsi furent faits les premiers pas de Pagnol au cinéma.

Pagnol peaufine sa connaissance du cinéma dans tous ses aspects. Et fort du succès public reçu par « Marius », et pour lequel il avait avantageusement négocié avec la Paramount, il lance sa société « Les films Marcel Pagnol ».

Au fur et à mesure du temps : il crée une revue de cinéma « Les cahiers du Film » pour répondre à ses détracteurs sur sa soit-disant méconnaissance du cinéma, revue traitant également de techniques cinématographiques, fonde ses studios, sans parler de la création d’agences de distribution.

Le documentaire donne à voir une véritable aventure cinématographique, pas toujours heureuse certes, mais il faut reconnaître à Pagnol le flair pour les acteurs donc, un travail titanesque – par exemple lorsque, avec son équipe il entreprend de façonner le mont du terrain situé sur les 90 hectares achetés dans le Vallon de Marcellin pour les tournages d’« Angèle » et de « Regain », par exemple lorsqu’ils construisent « en dur » un village entier, qui plus est, en ruine… Rosselini aurait dit à Pagnol qu’il aurait inventé le néo-réalisme italien avec le film « Joffroy », qui donnera envie à Rosselini de faire du cinéma. Il a quand même quelques alliés dans le métiers, et pas des moindre, et notamment outre Atlantique, quand la profession en France l’étrille avec pugnacité : «une caméra placée dans le trou du souffleur », « du théâtre en conserve », etc…

L’audace, jusqu’au projet fou des 40 hectares du domaine de la Buzine, domaine étroitement lié à son enfance, et racheté pour y installer la Cité du cinéma, pour en « faire un véritable Hollywood en Provence ». Mais la seconde Guerre Mondiale ne permettra pas l’aboutissement du projet. Pagnol peut enclin aux arrangements avec l’occupant détruit son dernier film d’alors « La Prière aux étoiles » lorsque les autorités de l’époque exige de lui que son film entre dans le système cinématographique passé sous le giron allemand. On apprend qu’il vend l’ensemble de ses studios à la Gaumont lorsque ces mêmes autorités lui font comprendre qu’il ne pourra pas continuer de façon indépendante. Et puis, il sera l’un des premier à utiliser le procédé français Rouxcolor, dans un film plus que…surprenant… surtout à la suite de son entrée à l’Académie Française… une adaptation de « La Belle Meunière » avec Tino Rossi… !

Cœur de verre (Herz aus Glas) de Werner Herzog (1976) – Critique proposée par J-F Burgos

Coeur de verre : la fracture technologique.

En Bavière au XVIIIème siècle, un maître verrier décède, il emporte avec lui le secret de fabrication qui permet la réalisation du verre-rubis, inégalée de part le monde. Toute la société du bourg repose sur cette industrie. Désespérément l’ensemble des ouvriers de la verrerie se mobilise pour retrouver ce savoir faire. Le maître du village, un aristocrate, va avoir recours à l’enquête et à la divination afin de tenter la perpétuation de ce qui fait la richesse des lieux.

Par ce film, de 1976, Werner Herzog nous transporte dans un monde étrange et déliquescent que la peur envahit peu à peu. Pour ce faire, le réalisateur ‘d’Aguirre’, de ‘l’énigme de Kaspar Hauser’, de ‘Nosferatu’, va investir l’image comme forme picturale romantique face à la forme narrative de la société en rupture.

Werner Herzog souligne souvent, qu’en tant que cinéaste, il lui manque la génération des pairs, au sens de la filière cinématographique et des pères au sens civil. Il dénonce, de ce fait, la période nazie ayant en quelque sorte créé une béance dans la filiation cinématographique allemande. Son film, ‘Nosferatu’, nous renvoie vers Murnau et devient l’objet d’une continuité hypothétique. ‘Coeur de verre’, qui précède Nosferatu, ne vient pas combler un manque, mais plutôt le dénoncer. Le réalisateur désire montrer les mécanismes qui sont à l’origine de ce manque. L’effritement inéluctable de la société qu’il expose s’appuie sur la stricte séparation des rôles sociaux, les habitants semblent vivre les uns à côté des autres sans jamais se rencontrer. Les ouvriers veulent retrouver, par l’expérimentation, le savoir faire perdu. L’aristocrate, pétri d’une culture de caste, se croyant dans une tragédie grecque, va faire appel au Thirésias local (Hias). Ce dernier sera l’annonciateur de l’enchaînement des catastrophes pour les uns et les autres, sauf pour lui-même. Le valet de l’aristocrate sera dans l’absolu accomplissement de son emploi, n’exerçant aucune censure morale devant les actions criminelles de son maître. La servante apeurée n’arrivera pas à échapper à son destin de dominée. Seule la taverne semble échapper à la disparition, en tant que le dernier espace d’un exutoire maintenant le peuple dans une habitude artificielle.

La plastique du film se situe après une période baroque, comme expression opulente de la puissance des dominants, des princes souverains et d’une église, directrice quotidienne de l’âme humaine. Werner Herzog nous place immédiatement dans ce moment de basculement esthétique annonciateur du romantisme allemand. Le film débute par une exposition appuyée des paysages bavarois à la façon de Kaspar David Friedrich. Ainsi, peut-on penser que la domination de l’homme sur lui-même étant aboutie, il lui faut, maintenant, poser le regard sur une nature encore sauvage qu’il va falloir dominer, à l’image du ‘Voyageur contemplant une mer de nuages’.

Ce tableau place le ‘regardant’ du tableau dans le rôle impératif de spectateur, il doit rester en dehors de la toile, c’est une volonté manifeste du peintre. Werner Herzog semble adopter ce principe. Il veut nous détacher de toute appropriation de l’énoncé pouvant troubler notre temps et notre lieu pendant la projection du film. Il nous faut rester en regard de l’image projetée.

Il est dit, du film, que Werner Herzog aurait hypnotisé ses acteurs. Il nous impose des paroles et des gestuelles qui semblent nous conduire hors du sens des textes et des actions. Ainsi, un joueur de cartes donne l’impression de se déplacer comme s’il était guidé par les cartes qu’il porte dans les mains. A l’inverse, les scènes de taverne sont à l’image de la peinture allemande profane, elles nous apparaissent plus familières, les références à Günther Matthäus ou Johann Liss sont probablement proches.

Il se dégage, alors, du film une distance induite à l’égard de la recherche de compréhension et, de ce fait, se révèle à nous une étrangeté inhabituelle à l’écran.

L’imbrication, si soigneusement construite par Werner Herzog, pour mêler ses intentions picturales et narratives et pour tenter de nous mettre à distance, montre une volonté voire une obsession à nous alerter sur notre monde contemporain.

Ne peut-on mettre en regard cette évolution industrielle du XVIIIème, en échec, avec le retour d’une ère nucléaire, bien en peine à réaliser de nouveau son évolution, comme une sorte d’incapacité à faire ce que nos pairs ont assuré. Si la faillite de ces redoutables procédés, dits innovants, reste rare, ils sont néanmoins cataclysmiques pour des territoires condamnés, où l’homme n’a plus sa place. Cette évasion est évoquée par Werner Herzog par la parabole du voyage en mer dans le film. L’obsolescence de l’homme se réalise ici par l’obligation de fuir, alors qu’il est sensé produire des contenus qui lui sont destinés. Ainsi, selon Günther Anders, lorsqu’il y a coïncidence entre la vie intérieure avec les contenus produits :

L’homme n’a plus besoin et ne peut plus avoir besoin que de ce qu’on l’oblige à prendre ;

L’homme ne pense plus et ne peut plus penser que ce qui lui est destiné ;

L’homme ne fait plus et ne peut plus faire que ce qu’on l’oblige à faire ;

L’homme ne ressent plus et ne peut plus ressentir que ce qu’on exige qu’il ressente.

Pour Anders, la coïncidence entre la vie intérieure et les contenus produits réalise le système conformiste.

A voir et revoir.

Deux – de Filippo Meneghetti

Les histoires d’amour au cinéma entre deux femmes ne sont pas courantes, et encore moins quand elles sont âgées. On se dit, enfin! Enfin, ce n’est pas une histoire entre deux adolescentes ou alors entre deux femmes qui s’ennuient, dans leurs histoires respectives, et qui trouvent un réconfort dans les bras l’une de l’autre.

Une histoire d’amour, Madeleine et Nina (magnifiquement interprétées par Martine Chevalier et Barbara Sukowa). Ces deux femmes amoureuses ont la soixantaine passée, on ne connaît pas précisément le leur âge. Elles vivent sur le même palier, mais cachent leur relation à leur entourage.

Ce film est beau, tendre et touchant. C’est une histoire d’amour qui s’accorde aux âges des de Madeleine et Nina. Lorsque Madeleine est atteinte d’un AVC, leur histoire est mise à mal, leur secret va devoir être révélé, comment vont-elles faire ?

Le film se déroule en partie dans l’appartement de Madeleine. Un appartement simple où elle reçoit sa fille, son fils et son petit-fils, un appartement normal. Mais c’est aussi le lieu où Madeleine et Nina s’aiment, dansent, éprouvent leurs sentiments, un lieu d’amour et de vie. Mais lorsque Madeleine est victime de son accident (Martine Chevalier nous saisit dans ce rôle presque mutique), cet appartement est le terrain d’incompréhension entre Nina et la fille de Madeleine, superbement interprétée par Léa Drucker. Théâtre de la convalescence de Madeleine et de l’amour d’une fille pour sa mère, l’appartement est aussi pour Nina l’espace où elle se doit d’être, même si rejetée par l’aide à domicile ou la fille de Madeleine.

Nina fera tout pour retrouver son amour (au sens physique et symbolique).

On observe simplement des scènes de vies: les relations d’une femme avec ses enfants, avec sa santé, avec son amante. C’est dans ces interactions qu’émerge progressivement la finesse de la mise en scène des relations familiales.

C’est une histoire d’amour simple, qui oscille au grès des accidents de la vie. On est emportés par cette relation forte et par l’énergie déployée par Nina.

C’est une histoire d’amour normal, entre deux femmes normales, dans un appartement normal.

Enfin, un film qui parle normalement de l’amour de deux femmes.

 

Lea Floc’h

« Le cas Richard Jewell » – Clint Eastwood

Quel rythme ce Clint! La mule, son dernier film est sorti il y a un an. Il nous avait emmené dans une sorte de road-movie où un vieux monsieur transportait de la drogue pour des trafiquants mexicains.
En 2020, Clint Eastwood nous replonge en 1996, à Atlanta, théâtre d’un attentat durant les jeux olympiques. Tiré de faits réels, nous connaissons la vérité de cette affaire. Mais ce film s’attache moins à l’issue de l’enquête qui a mené à arrêter Eric Rudolph, qu’à suivre la vie de Richard Jewell qui bascule.
Richard est un gardien de la sécurité du parc où a lieu un concert. Il découvre, sous un banc, un sac à dos. Se demandant ce que contient ce sac, il donne l’alerte une première fois, sans réaction de la police. Il revient à la charge, et les forces de l’ordre découvrent que le sac contient une bombe.
Richard Jewell est victime d’un emballement, victime de l’Etat et des médias. Il devient en quelques heures après l’attentat le suspect numéro un : on apprend qu’il est dans le viseur du FBI.
On veut un coupable, très bien, ce sera lui.
Richard Jewell a toujours rêvé d’intégrer la police et place l’ordre et l’autorité au-dessus de tout.
Mais il n’est pas policier, il est agent de sécurité et a déjà été arrêté pour avoir joué les représentants de l’ordre. On s’attache à Richard, ce blanc américain un peu gros, adorant sa mère
et passionné par l’ordre et les armes, mais des armes pour chasser, attention !
On suit sa vie avant, pendant, et après l’attentat. On suit sa relation avec sa maman et son avocat, attachant lui aussi _ et interprété par Sam Rockwell qui nous avait fait rire déjà en interprétant G.W
Bush dans Vice.
Dans ce film Clint Eastwood fait ce que les scénaristes américains savent faire : traiter un fait divers, peu glorieux pour leur patrie (on pense à Spotlight, à Vice, à 0 Dark Thirty). L’injustice que subit Richard Jewell est inquiétante et on n’ose pas imaginer l’ampleur que prendrait cette affaire en 2020 avec l’impact démultiplié des réseaux sociaux.
On retrouve les singularités d’écriture de Clint Eastwood : des sujets traités avec gravité, mais avec toujours avec une pointe de folie, de fantaisie, des décalages, qui nous plongent dans l’humanité des personnages (on pense notamment à la scène de la perquisition).
L’agent du FBI, la journaliste ou encore la secrétaire de l’avocat sont ces personnages secondaires sur lesquels le spectateur peut s’appuyer pour avoir une vision plus globale des événements, une forme d’objectivation des faits.
Ce changement de focale permanent rythme le récit et permet et lui donne une dimension encore plus réaliste.
Clint Eastwood, connu pour ses positions pro-américaines, s’est aventuré sur un terrain peu glorieux pour son pays, mais a su traiter avec finesse un sujet sensible avec un Richard Jewell qui nous agace parfois mais à qui on se sent attaché.

« Queen and Slim » de Melina Matsoukas

Une claque, voilà le premier mot qui me vient à l’esprit en sortant de la séance.
Je ne savais pas ce que j’allais voir et je ne savais pas non plus ce à quoi je devais m’attendre. En voyant les affiches dans le métro, les premières fois je pensais que c’était un concert ou alors un documentaire. En entrant dans la salle, j’ai seulement lu le synopsis: un homme, une femme, la trentaine, sortant d’un rendez-vous galant (plus précisément un date sur tinder) et roulant de nuit à travers la ville. Une arrestation par un policier, qui tourne mal. La fuite à travers le pays. Car, nous ne l’avons pas précisé, ils sont noirs, et, donc, forcément coupables. C’est road-movie à travers ce pays à la fois fascinant et révoltant.
C’est une claque oui. Tout d’abord car la photographie est magnifique. On se croirait parfois dans un clip de r’n’b, parfois on se croirait dans un Xavier Dolan, ça marche. Les lumières, durant les épisodes nocturnes en particulier, nous emmènent dans un autre monde, sans pour autant que cela artificiel, cela sert totalement le film. La réalisatrice (dont c’est le premier film), qui n’est autre que Melina Matsoukas, réalise les clips de Beyoncé, Rihanna ou encore Missy Elliott. Ensuite car les codes du road-movie sont respectés tout en amenant une certaine originalité: la musique (qui n’est pas de la country ou du rock, mais bien du r’n’b, du rap et de la soul), les arrêts, les étapes entre deux grandes traversées sont les moments où Queen & Slim se retrouvent et croisent la vie de nombreux personnages. Dans cette traversée les rôles attribués généralement aux femmes et aux hommes sont inversés: elle est la rationalité, la force vive, celle qui va de l’avant, elle est avocate et donc sait. Lui est porté par ses sentiments, une retenue et est prêt, au début, à se rendre. C’est un film qui est plus que jamais d’actualité, sur les violences policières: ils sont noirs et forcément, coupables. Ils ne fuient pas car braqueurs ou bandits mais car ils sont noirs. Tout au long du voyage on découvre une communauté prête à les aider, à les idolâtrer pour ce qu’ils représentent: les victimes d’un système d’Etat incarné par les policiers contre la communauté noire. Enfin, et il faut le dire, c’est une histoire d’amour et les définitions de l’amour, citées par les personnages, peuvent rivaliser avec les plus beaux films d’amour. On en ressort non pas grandi mais révolté et transformé par une expérience à la fois politique et esthétique.

 

La fille au bracelet

2020 – un film de Stéphane Demoustier

Un presque huit clos pour le film de Stéphane Demoustier qui avait déjà réalisé plusieurs courtsmétrages et deux films. C’est le procès d’une jeune fille de 18 ans, 16 ans au moment des faits, accusée d’avoir tué sa meilleure amie.

La pression du quasi huit clos du procès est très forte, les murs rouges tapissant les contours de la salle d’audience nous plongent dans une atmosphère où on ne se sent pas à l’aise, on ne voit presque pas le public, seulement les avocats, la famille et les juges.

On ne sait pas ce qu’il s’est passé, mais on a envie de savoir. On suit les débats avec intérêt et les interventions à charge de l’avocat général interprété brillamment par Anaïs Demoustier. On est étourdi par le jeu de Mélissa Guers interprétant Lise. Le silence, le regard fuyant, tout nous déroute, on ne sait pas. Et si c’était elle? Et si ce n’était pas elle?

Si les scènes du procès sont très réalistes et que l’on est happé par le déroulé des événements, les scènes tournées hors de la salle d’audience déçoivent: on peut se demander quelle est la plu value de ces dernières: on voit les parents de la jeune fille (Chiara Mastroianni et Roschdy Zem) en plein désarroi et qui discutent peu, on les observe dans leur quotidien que le procès vient rythmer.

Mais le film de Stéphane Demoustier porte avant tout sur l’adolescence: connaissons-nous les adolescents? Comment ils grandissent, à quoi ils pensent, que vivent-ils? La fille au bracelet a ce grand mérite de traiter subtilement, à travers un procès au pénal, un sujet peu évoqué dans le cinéma français ou alors repris dans des comédies: les relations entre adolescents et comment ils se construisent.

Le trouble, le malaise nous guident tout au long du film et ça marche, on a envie de savoir, de comprendre ce qui liait ces jeunes filles. Peut-être le film aurait gagné en force et en impact en se construisant totalement autour du procès, un huit clos d’1h30.

1917 de SAM MENDES

1917 de Sam Mendès

Avec un tel titre on pouvait s’attendre à un film qui nous plonge dans la reprise de la guerre de mouvement après trois années d’enlisement dans les tranchées avec la stratégie militaire qui s’ensuivait et des scènes de bataille épiques.  Que nenni ! Ici nous sommes dans un film de survivance avec toutes les limites que cela comporte.

Deux soldats anglais, pas très aguerris, se voient confier une mission assez singulière et affrontent les allemands et passent de niveaux en niveaux comme dans un jeu vidéo. « 1917 » est techniquement étonnant, avec son long plan séquence sans ellipse. Pourtant, passé la surprise de cette prouesse visuelle, le film échoue du fait de ses invraisemblances, de son manichéisme digne d’un film de propagande, de son interprétation peu convaincante et surtout du fait de l’absence de scénario. Malgré une ambition manifeste dans sa réalisation, « 1917 » semble être à la Première guerre mondiale ce que « Gravity » était à l’espace, un film de survivance immersif mais sans second degré, voire de premier degré tout court ! C’est là certes une opinion bien « tranchée » ! Michel SENNA

J’accuse

Quelle bonne surprise que ce film historique qui surprend d’emblée par sa narration, son rythme et son point de vue. Le capitaine Alfred Dreyfus, accusé de trahison avec l’ennemi, jugé coupable et déporté, incarné par Louis Garrel, n’apparait que très peu. Le point de vue est celui de Picquart, un officier de l’armée qui, après avoir chargé Dreyfus, se rend compte de façon fortuite de son innocence. Ce dernier n’aura dès lors de cesse de faire éclater la vérité, honneur de l’armée oblige. Si le casting est très convaincant – Emmanuelle Seigner en maîtresse compatissante entraînée dans la tourmente, Matthieu Amalric en graphologue infatué, reconnaissons que Jean Dujardin, presque de tous les plans du film, incarne avec brio ce militaire un peu sec et franc-tireur qui se retrouve en danger, à vouloir faire triompher la vérité. Ajoutons à cela une mise en scène de Roman Polanski qui évite l’emphase et qui créé une atmosphère suffocante, avec un sens du détail qui demeure sa marque de fabrique. Sa reconstitution d’un Paris sombre, feutré et enfumé est au cordeau. N’étant pas un spécialiste de L’affaire Dreyfus, il me semble néanmoins que ce film didactique, même s’il doit prendre des raccourcis avec l’Histoire , parvient à capturer un état d’esprit où l’intolérance prédominait dans la société française. Le happy end final est également teinté d’amertume. Une fois réhabilité, Dreyfus continuera à être victime d’injustices quant à son avancement dans l’armée. « J’accuse » est une œuvre classique et rigoureuse qui, au-delà des polémiques, mérite amplement le détour. Michel Senna

Jean Dujardin et Louis Garrel dans J’accuse de Roman Polanski

Le Prix Louis-Delluc 2019 décerné à Jeanne de Bruno Dumont

Présenté au Festival de Cannes 2019 où il a reçu une Mention spéciale dans la section Un Certain Regard, Jeanne de Bruno Dumont a reçu ce lundi 10 décembre le Prix Louis-Delluc 2019. « Bruno Dumont a su mettre en images un magnifique texte de (Charles) Péguy. Il était déjà un grand cinéaste. Il entre cette fois-ci dans la famille du Delluc », a déclaré Gilles Jacob, le président du jury, en annonçant la nouvelle au Fouquet’s.

Jeanne était en lice face à sept films, parmi lesquels Grâce à Dieu de François Ozon, Synonymes de Nadav Lapid ou encore L’Adieu à la nuit d’André Téchiné. « Je suis très touché. Me voir ainsi associé à Louis Delluc est un honneur. Je suis un enfant du cinéma français et de ce cinéma-là, celui de mes maîtres, particulièrement », a confié Bruno Dumont joint par téléphone depuis l’Allemagne, où il est en tournage.