LA LOI DES SERIES : CREER L’ADDICTION
par Régis Ecosse
auteur de textes pour le doublage.
Régis Ecosse a notamment travaillé sur le doublage de films tels que « 4mois, 3 semaines et 2 jours » de Cristian Mungiu (palme d’or 2007) ou « La Ronde de Nuit » de Peter Greenaway. Mais aussi pour des séries comme « True Detective » ou « The Newsroom ».
Les séries télé sont entrées dans nos vies de façon massive. En 2019, rien qu’aux Etats-Unis, on en a produit plus de 500 et on estime que le pic n’est pas encore atteint. Un sondage, toujours de 2019, estime que 75% des Français les regardent régulièrement. A l’heure du tout numérique, le tout divertissement s’impose. Un autre sondage, réalisé dans 37 pays pour une grosse agence de communication, Havas, indique que 83% des sondés considèrent le divertissement comme un besoin vital, contre 54% qui disent prêter attention aux questions de santé (sondage avant COVID).
Lexique : par « divertissement », il faut entendre ici la traduction du terme américain « entertainment » qui désigne le cinéma, la télévision (et les plateformes de VOD), les parcs d’attraction, les sports télévisés et les jeux vidéo.
En France, sauf pour le sport à la télé et les parcs d’attraction, mais même pour les jeux vidéos, le terme est « industries culturelles » qui regroupent en plus les arts plastiques, la musique, le spectacle vivant et la littérature.
Mais si l’on se concentre sur les séries télé, dont la production est largement dominée par les Etats-Unis aussi bien en nombre qu’en influence, que signifie encore le mot « culture » ? Quelle place est accordée dans cette industrie du divertissement de masse à l’expression d’une identité dans laquelle chacun peut se retrouver et se construire à travers l’accès à des connaissances partagées et la mise en œuvres de concepts et de valeurs qui forgent une société ?
C’est la question à laquelle nous allons tenter humblement de répondre.
Auteur de textes pour le doublage depuis plus de 20 ans, c’est mon métier qui m’amène à traiter ce sujet.
Précision : je vais consacrer la suite de ma réflexion aux séries américaines. Les Etats-Unis sont les premiers exportateurs de produits culturels et à ce titre, ils imposent leur vision au reste du monde.
LE DOUBLAGE, CONTEXTE HISTORIQUE
1895, les frères Lumière inventent le cinématographe. Qu’inventent-ils exactement ? La projection des images animées sur un écran devant un large public.
Avant eux, Thomas Edison commercialisait déjà un dispositif où les films se visionnaient individuellement, à travers une fente, le kinétoscope. Nous reviendrons sur cette opposition collectif/individuel.
Dès 1896, Alice Guy écrit et tourne le premier film de fiction de l’histoire pour la Gaumont. Rapidement, les gens de théâtre s’emparent de cette nouvelle invention et on filme de nombreux mélodrames qui ont besoin de cartons, pour expliquer l’histoire, et donc de traductions.
A l’avènement du parlant, en 1927, la question devient cruciale : comment exploiter ici les films tournés ailleurs, dans une autre langue ?
A Hollywood, la technique qui consiste à retourner chaque scène dans d’autres langues est vite abandonnée, à la fois pour son coût et la qualité de son résultat.
Alors, sous-titrage ou doublage ?
Le sous-titrage exige une population lettrée, ce qui est à peu près le cas en Europe occidentale, périmètre auquel je m’arrête.
Mais, dans cet entre deux guerres où l’on prend conscience de l’impact potentiel du cinéma sur les consciences, le doublage présente l’énorme avantage d’offrir la possibilité de réécrire les films, d’en modifier l’idéologie. Les pays fascistes, Italie, Espagne, Allemagne, qui font du cinéma un outil de propagande, choisissent le doublage. Les démocraties du Nord optent pour le sous-titrage. En France, le doublage devient la règle sous le régime de Vichy, l’agrément de la censure n’étant accordé qu’aux films doublés.
Ce clivage entre pays de doublage et pays de sous-titrage est toujours d’actualité aujourd’hui, les pays de doublage offrant un marché bien plus large aux programmes étrangers non anglophones.
DE LA SERIE AU FEUILLETON :
NOTRE ATTENTION COMME MARCHANDISE
Maintenant, passons aux années 1990. Internet est sur les rails et des sites se créent et se développent intensément, surtout aux Etats-Unis. La valeur d’un site, qui se mesurait au nombre de ses utilisateurs, se mesure en plus au temps que chacun passe à l’utiliser. Il s’agit alors de développer toujours plus de nouveaux services pour capter toujours plus du temps des internautes.
Ce virage dans l’industrie du loisir est fondateur d’un nouveau marché où notre attention devient marchandise. Et c’est précisément à cette époque, fin des années 1990, qu’une chaîne par abonnement américaine, HBO, filiale de la Warner, décide d’adopter ce nouveau modèle économique et redécouvre, en conséquence, les vertus du feuilleton. HBO produit la série qui va révolutionner le genre : Les Sopranos.
Jusque-là, la plupart des séries américaines, sauf les soaps de type Dallas, proposaient des héros récurrents et des épisodes indépendants. On pouvait suivre une série tout en manquant des épisodes. Avec les feuilletons, formats dans lesquels étaient déjà publiés dans les journaux les romans du XIXème siècle, il ne faut rien rater pour suivre l’intrigue.
Les ressorts du feuilleton, on les connaît : attente, rebondissements, suspense,… Un autre terriblement efficace est déployé dans les scénarii des séries : flatter l’égo du spectateur. On multiplie les personnages, on complexifie les intrigues. Il devient difficile de s’y retrouver et chaque fois qu’il y parvient, le spectateur se sent plus grand, plus fort, plus intelligent. Il juge alors la série « géniale » mais en fait, c’est lui qu’il trouve génial devant cette série.
L’autre « nouveauté » des Sopranos : le héros est un anti-héros et on connaît tout de son intimité. La nouveauté, bien sûr, est toute relative. La littérature a acquis ses lettres de noblesse en fouillant l’âme humaine et depuis déjà quelques décennies, le cinéma explorait les failles de ses héros. Mais pour les séries télé, c’est nouveau. Que savions-nous en effet des états d’âme ou de la vie intime de Kojak ou de Colombo ?
Depuis, la série, dont le succès fut considérable, sert de modèle pour la production mondiale.
LES SERIES : UNE CULTURE DE COMMUNAUTES
Les séries, comment c’est fait ? Tout dépend du diffuseur.
Aux Etats-Unis, il existe 2 types de chaînes de télé : les chaînes gratuites qui vivent de la publicité et qui visent un public le plus large possible, avec des productions divertissantes et rassembleuses ; et les chaînes à péage qui doivent se démarquer des premières pour justifier le prix d’un abonnement, de type HBO, avec des productions ciblées pour un public donné, en général plus instruit, plus porté sur la réflexion et donc, à priori, plus aisé.
L’apparition des plateformes fait naître un nouvel acteur, celui du vidéo-club qui, en plus, produit des programmes. Pour Netflix, c’est chaque production qui vise un public donné pour qu’au final, tous les publics soient touchés. Dans ce but, elle a mis au point une méthode exemplaire de développement : on identifie des communautés d’intérêts, d’âge, de genre, d’identité sociale, de mode de vie, de niveau culturel… et un algorithme détermine des thèmes susceptibles d’attirer plusieurs de ces communautés, 3 ou 4 par projet, à chaque fois différentes selon les productions. Les cahiers des charges ainsi obtenus sont confiés à des équipes de scénaristes qui n’ont plus qu’à créer les personnages, construire les histoires. Le système peut d’autant plus être affiné que tous nos clics sont enregistrés, il est donc possible de savoir qui regarde quoi.
L’industrie des séries ne cherche donc pas la création (contrairement à ce que le slogan de Canal + nous incite à penser, « une création Canal + »), elle développe des recettes de fabrication pour séduire des communautés. Sur le même modèle que les réseaux sociaux, les gens qui se ressemblent se retrouvent devant les mêmes programmes et se laissent de moins en moins de chances d’en découvrir d’autres puisque, sur les plateformes, à l’image d’internet, pas de hasard, on ne trouve que ce que l’on cherche. Le risque est de s’enfermer dans ses goûts et certitudes, émoussant par là sérieusement nos esprits critiques.
Première question : dans le tronc commun des références culturelles qui contribuent à souder une société, la part de la télévision est considérable. Qu’advient-il alors quand les individus qui constituent cette société n’ont plus les mêmes références télévisuelles ? Et n’ont mêmes plus la moindre idée de ce que regardent leurs contemporains, même leurs enfants, ou leurs parents, qui sont sur d’autres segments de la population ?
Par contre, avec les plateformes de VOD, comme avec les réseaux sociaux, des communautés extranationales se constituent. A l’autre bout du monde, des gens ont les mêmes références que nous.
Une première conséquence de cette production ciblée est l’aggravation, me semble-t-il, du gap culturel entre les différentes classes sociales. Au cinéma, les block-busters (films très grand public) ont au moins le mérite d’attirer un vaste public dans les salles. De la même manière, tous les publics pouvaient se retrouver devant nos vieilles séries aux héros récurrents. Et alors que les chaînes dites généralistes ont pu l’être à une époque, aujourd’hui chacune a sa ligne éditoriale précise dont elle s’écarte peu et les programmes réellement culturels sont devenus rares sur les chaînes gratuites. Personnellement, je m’aperçois qu’il y a des chaînes que je ne regarde plus jamais et c’est spécifique au XXIème siècle.
Les modes de diffusion eux-mêmes sont clivant. Par exemple, selon les générations, on suivra plus facilement les séries à la télé (diffusion linéaire) plutôt qu’en streaming (diffusion non linéaire).
Pour revenir au doublage, dans un contexte où les séries étrangères sont largement majoritaires sur nos écrans, les gens qui regardent en VOST et ceux qui regardent en VF se répartissent assez bien selon le paysage dessiné par nos niveaux culturels.
Classes sociales, générations, niveaux culturels… à mon sens, les séries tendent à participer à l’atomisation des populations et à l’essor de l’individualisme qui sont à l’œuvre dans nos sociétés de services post-industrielles et numériques.
LA STANDARDISATION DE LA PRODUCTION
Mais que nous proposent donc à voir ces séries ?
On remarque déjà qu’auteurs, réalisateurs, compositeurs, comédiens sont interchangeables. Dans ce système de productions ciblées qui fait que ce n’est pas à l’auteur de trouver son public mais au public de trouver sa série, chaque acteur de la fabrication joue son rôle sous le quasi statut de technicien salarié, obéissant à des codes établis à l’avance qui éliminent toutes tentatives d’expérimentation. L’originalité propre aux œuvres de créateurs, que porte le système de droit d’auteur face au copyright anglo-saxon, et qui personnellement me passionne, n’a pas sa place dans ce système où l’on prend pour des inventions de simples trouvailles pour renouveler le déroulé des mêmes histoires.
La qualité n’est pas exclue mais elle n’est jugée par les décideurs qu’au regard de la rentabilité, donc de l’audience. Aux Etats-Unis, dès qu’une série n’atteint pas ses objectifs, elle est arrêtée, qu’elle soit ou non de qualité (mais qu’est-ce que la qualité ? Autre débat…).
Ainsi les scènes s’enchaînent, construites de la même façon, plan large, plan moyen, plans rapprochés qui se succèdent en champ, contre-champ où c’est celui qui parle qui est toujours à l’image. L’action des séries se passe presque toujours en ville, où vivent les équipes de production, parmi des populations aisées, comme le sont leurs concepteurs. Les musiques illustrent ce que l’on voit déjà, quand elles ne remplissent pas les vides de la réalisation. Les acteurs et actrices, dont le physique collerait à tous les rôles, adoptent tous la même gestuelle standardisée.
Enfin les dialogues, sur lesquels je travaille depuis plus de 20 ans, me frappent par leur uniformité, que nous reproduisons au doublage à la demande de nos commanditaires. Même registre de vocabulaire, mêmes phrases courtes, sujet, verbe, complément et même respect de la syntaxe et de la grammaire. On est très loin des langages de la vraie vie, avec leurs approximations, leurs erreurs, leurs accents et tournures régionales ou sociales. On adapte quand même le langage aux personnages, leurs milieux, leurs vécus, mais dans une fourchette très étroite. Le langage stéréotypé des séries est celui des journalistes, des politiques, des personnages publics, codifié par la télé qui le produit. Même l’usage des gros mots est formaté par l’industrie : pour les chaînes gratuites à publicités, qui s’adressent au grand public, pas de gros mots. Pour les chaînes à abonnement, qui doivent se démarquer, des « fuck » toutes les 3 phrases. On retrouve ici la soi-disant impertinence de Canal+, chaîne par abonnements, qui a pour modèle depuis ses débuts la chaîne américaine HBO.
Mais il faut bien que le genre ait l’air de se réinventer. Parmi les « trucs » pour donner l’illusion de la nouveauté, on change la toile de fond. Et on en profite pour donner l’impression au spectateur qu’il apprend quelque chose. On le plonge dans le contexte d’un commissariat, d’un hôpital, d’un service d’espionnage, dans les jours qui suivent un accident nucléaire… et on fait passer ces fictions, à grands renforts de consultants et dans un monde ou l’image crée l’événement, pour des sources d’information. En réalité, en 1 ou 2 épisodes, le contexte est posé et l’univers balisé. La suite n’explore plus que les rapports qu’entretiennent les personnages entre eux. L’art dramatique reste l’art dramatique et il ne repose, depuis les tragédies grecques, que sur un seul ressort : les conflits entre les personnages. On ne se lasse pas de traquer les amours, les haines, les trahisons… Vous enlevez ça, vous êtes dans le documentaire mais là, vous perdez l’émotion (d’où l’invention du docu-fiction).
Il y a eu des tentatives de séries qui ont voulu faire passer l’info avant le pathos. Elles se sont soldées par des échecs, entendez échecs d’audience bien sûr.
Si on ajoute que dans une fiction, on ne connaît pas le faux du vrai, on se rend vite compte qu’au final, on n’apprend rien, ou si peu au regard des heures d’attention qu’elle exige. On est seulement fascinés de nous retrouver plongés dans les rues de la Rome antique ou dans l’intimité d’un parti politique. C’est la puissance des images sur nos cerveaux que les maîtres des propagandes totalitaires d’entre les 2 guerres avaient bien perçue.
Les passions, les mensonges, les meurtres… y a que ça de « vrai » dans les séries !
CREER L’ADDICTION
Mais après tout, quelle importance que les séries télé ne soient pas des œuvres d’art abouties capables d’inventer les codes de demain ? Ce n’est pas ce qu’on attend d’elles. Et nombreuses sont celles que l’on peut estimer comme du divertissement de qualité. On a besoin de divertissement. C’est un bon moyen de réinventer des réalités, de se libérer de sphères trop bornées, voire de donner du sens.
A condition de ne pas en être esclave. Selon le sondage pour Havas (avant COVID) que j’ai évoqué plus haut, 60% des sondés affirment ne pas pouvoir rester tranquilles sans consommer du contenu. 40% affirment ne pas pouvoir vivre sans Netflix ! Il semble qu’on en soit à préférer la compagnie de nos écrans à celle de nos contemporains, même les plus proches…
Il faut dire que toute l’industrie du divertissement se mobilise pour nous scotcher à nos écrans. Il y a une quinzaine d’années, le patron d’HBO, à un journaliste qui lui demandait quel était son projet, a fait cette réponse : « créer l’addiction », rendre les gens dépendants. Aujourd’hui, le mot est complètement banalisé, l’aspect « addictif » des séries étant même un gage de qualité, y compris pour les critiques !
Dans le même ordre d’idée, le patron de Netflix, Reed Hastings, a déclaré : « Notre concurrent principal, c’est le sommeil ».
Le projet des chaînes gratuites à publicité avait été résumé en son temps par Patrice Lelay, alors patron de TF1 : « offrir du temps de cerveau disponible à Coca Cola ». Le cynisme de la formule avait fait scandale dans une France qui considère traditionnellement les biens et services culturels comme vecteurs de valeur et pas seulement objets de commerce.
Mais parler d’addiction, ou d’offrir du temps d’attention à des annonceurs, c’est avouer que l’intérêt du spectateur passe après celui de l’actionnaire. Ce modèle nous vient d’un pays, les Etats-Unis, qui estime que le fruit des industries culturelles est une offre de divertissement (entertainment) et n’a rien à voir avec la culture.
LE PLAISIR SOLITAIRE
Cette addiction, comment la vivons-nous ? Le plus souvent, seuls. Les plateformes marquent le retour au visionnage individuel proposé par le kinétoscope d’Edison. Le mode de consommation qu’elles proposent est l’expression de l’individualisme étasunien triomphant. Le collectivisme inclusif européen, que le cinématographe a pu incarner, vole en éclat.
Si nous sommes dans une société du divertissement, le loisir que nous propose les plateformes est un plaisir solitaire. Devant les chaînes classiques, on pouvait encore suivre le spectacle en famille. Aujourd’hui, je connais des couples qui suivent les mêmes séries mais pas à la même cadence, l’un ayant quelques épisodes d’avance sur l’autre, à la faveur de trous dans l’emploi du temps que la boulimie, le besoin d’écran comble vite, interdisant l’attente de la disponibilité de l’autre.
J’ai parlé de plaisir solitaire. Ca paraît bien central dans les pratiques d’aujourd’hui. Il en va de même pour les jeux vidéos, qui touche aussi 75% de la population et qui sont largement pratiqués en solo. Les sites porno, visités dans les mêmes proportions, représentent un tiers des connections internet. Séries, jeux vidéos, porno, autant d’activités organisées pour qu’on y consacre un temps considérable. C’est l’isolement qui guette leurs utilisateurs. Et les jeunes, cible privilégiée de nombre de ces fournisseurs de contenus, y sont particulièrement exposés.
Il y a d’ailleurs beaucoup de solitudes dans nos sociétés. Dans les années 90, les nouvelles technologies ont enclenché un mouvement de dématérialisation du monde auquel les industries de l’audiovisuel participent activement : de la même manière qu’Amazon nous évite de sortir pour aller faire nos courses, que les jeux vidéo nous évitent de sortir pour aller nous confronter à l’autre physiquement, Netflix nous évite de sortir pour aller au cinéma.
Dans ce contexte, s’organiser une vie sociale qui favorise la rencontre avec les autres apparaît comme résistante. Cette année 2020 nous a montré combien les industries dématérialisées sont particulièrement bien adaptées au confinement. Mais est-ce l’avenir que nous souhaitons pour nos sociétés ?
ET LA DEMOCRATIE DANS TOUT CA ?
Devant nos écrans, dans cette course au divertissement à tout prix, les yeux et les oreilles saturés, nous consommons, parfois jusqu’à l’abrutissement, des immersions étourdissantes de produits prémâchés pour nous, qui nous prennent par les émotions et nous enlèvent toute capacité de distanciation.
Est-il encore sensé de nommer ces industries dévorantes « culturelles » ? En passant de la « culture » aux « industries culturelles », nous avons privilégié le quantitatif, le résultat chiffré, négligeant la puissance du qualitatif. Les produits culturels véhiculent des valeurs, des idées, du sens, et apparaissent comme des instruments de communication symbolique qui façonnent l’identité culturelle d’une collectivité. La démocratie est un projet de gestion collective qui repose sur le débat permanent entre citoyens qui vivent dans la conscience d’une identité. La culture en constitue le socle. Où nous mène la société du divertissement qui me donne l’illusion d’un monde à mon service ? Où on me propose et où je dispose, sans effort. D’un monde où l’addiction remplace le désir, le plaisir immédiat remplace la joie durable ? Quid du collectif ? Quid de l’engagement ? Quid de l’idéal ? Quid de la construction d’un avenir meilleur, raison d’être de la démocratie ?
Fin de la saison une.
Pour écrire la saison 2, nous avons quelques éléments :
Les plateformes de VOD ont accéléré leur développement avec la crise de la COVID (depuis début mars, l’action de Netflix en Bourse a bondi de 40%, avec une capitalisation boursière qui atteint près de 190 Md$).
Les entreprises américaines de médias poursuivent leur déploiement mondial. Après Amazon et Netflix, deux géants américains sont entrés sur le marché européen, avec le rachat passé quasiment inaperçu fin 2018 de Sky, premier groupe européen de télévision payante, par Comcast. Très rentable, Sky possède 23 millions d’abonnés en Grande Bretagne, Italie, Allemagne, Autriche. Et, bien sûr, l’arrivée massive de Disney avec sa plateforme Disney + arrivée en France le 7 avril 2020..
Depuis environ 2 ans, l’industrie sentant un début de lassitude du public devant l’inflation des séries chronophages, la production s’oriente vers des mini-séries, une saison, 6 à 10 épisodes. L’industrie devance encore nos demandes, nos désirs sont des ordres, pour entretenir l’addiction. Pour contrer ces machines de guerre mercantiles, proposons de nous appuyer sur notre tradition d’intervention publique en matière culturelle pour renforcer le service audiovisuel public, en France et en Europe, seul possibilité d’offrir aux citoyens une offre réellement culturelle qui échappe à la loi du marché.
La formation des futurs citoyens libres car avertis, passe par la formation généralisée, dès les petites classes, à l’usage des nouveaux média et de leurs contenus.
L’Europe, depuis les années 90, travaille à préserver le secteur culturel européen dans sa diversité, tant sur le plan de la production que sur celui de la circulation des œuvres. Au delà de son impact en matière économique et d’emploi, pour l’Europe, « le secteur audiovisuel exerce une influence considérable sur les connaissances, les croyances et les sentiments des citoyens ; il joue un rôle crucial dans la transmission, l’évolution et même la construction de l’identité culturelle » (2004). Mais les résultats de ces programmes sont encore très mitigés. (https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0048-la-politique-audiovisuelle-de-l-union-europeenne)
Alerte info : le17 déc 2020, Roseline Bachelot annonce qu’un accord a été signé avec les plateformes américaines exerçant en France, leur faisant obligation de consacrer 25% de leur chiffre d’affaire à la création cinématographique française ou européenne, au même titre que les chaînes traditionnelles. Bonne nouvelle pour l’exception culturelle mais mauvaise pour les cinémas, les films Netflix, par exemple, n’étant pas exploités en salle, et pour les chaînes classiques qui voient une part de la production française leur échapper. Cette mesure aura aussi un impact dur le droit d’auteur. Allons-nous assister à l’avènement du copyright ? C’est tout un modèle économique que ces plateformes remettent en cause.
Régis Ecosse – janvier 2021
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