Avec un tel titre on pouvait s’attendre à un film qui nous plonge dans la reprise de la guerre de mouvement après trois années d’enlisement dans les tranchées avec la stratégie militaire qui s’ensuivait et des scènes de bataille épiques. Que nenni ! Ici nous sommes dans un film de survivance avec toutes les limites que cela comporte.
Deux soldats anglais, pas très aguerris, se voient confier une mission assez singulière et affrontent les allemands et passent de niveaux en niveaux comme dans un jeu vidéo. « 1917 » est techniquement étonnant, avec son long plan séquence sans ellipse. Pourtant, passé la surprise de cette prouesse visuelle, le film échoue du fait de ses invraisemblances, de son manichéisme digne d’un film de propagande, de son interprétation peu convaincante et surtout du fait de l’absence de scénario. Malgré une ambition manifeste dans sa réalisation, « 1917 » semble être à la Première guerre mondiale ce que « Gravity » était à l’espace, un film de survivance immersif mais sans second degré, voire de premier degré tout court ! C’est là certes une opinion bien « tranchée » ! Michel SENNA
Quelle bonne surprise que ce film historique qui surprend d’emblée par sa narration, son rythme et son point de vue. Le capitaine Alfred Dreyfus, accusé de trahison avec l’ennemi, jugé coupable et déporté, incarné par Louis Garrel, n’apparait que très peu. Le point de vue est celui de Picquart, un officier de l’armée qui, après avoir chargé Dreyfus, se rend compte de façon fortuite de son innocence. Ce dernier n’aura dès lors de cesse de faire éclater la vérité, honneur de l’armée oblige. Si le casting est très convaincant – Emmanuelle Seigner en maîtresse compatissante entraînée dans la tourmente, Matthieu Amalric en graphologue infatué, reconnaissons que Jean Dujardin, presque de tous les plans du film, incarne avec brio ce militaire un peu sec et franc-tireur qui se retrouve en danger, à vouloir faire triompher la vérité. Ajoutons à cela une mise en scène de Roman Polanski qui évite l’emphase et qui créé une atmosphère suffocante, avec un sens du détail qui demeure sa marque de fabrique. Sa reconstitution d’un Paris sombre, feutré et enfumé est au cordeau. N’étant pas un spécialiste de L’affaire Dreyfus, il me semble néanmoins que ce film didactique, même s’il doit prendre des raccourcis avec l’Histoire , parvient à capturer un état d’esprit où l’intolérance prédominait dans la société française. Le happy end final est également teinté d’amertume. Une fois réhabilité, Dreyfus continuera à être victime d’injustices quant à son avancement dans l’armée. « J’accuse » est une œuvre classique et rigoureuse qui, au-delà des polémiques, mérite amplement le détour. Michel Senna
Jean Dujardin et Louis Garrel dans J’accuse de Roman Polanski
Certainement le film le plus personnel de Quentin Tarantino qui nous propose un voyage en 1969. Aucune faute de goût dans la reconstitution assez bluffante et très référencée. Le duo Brad Pitt / Leonardo Di Caprio (le premier étant la doublure d’un acteur de films de genre sur le déclin) fonctionne très bien, dommage simplement qu’on ne les voient jamais « travailler » ensemble. Tarantino rend aussi hommage au spectateur qu’il a été, à travers les yeux de Sharon Tate, qui découvre son petit succès dans une salle de cinéma. Certes le film est un peu long mais il y a un bon casting et beaucoup de matière et quelques scènes très fortes dont l’arrivée de Brad Pitt dans le ranch tenu par la secte de hippies ou celle dans laquelle Di Caprio confie son désarroi à sa très jeune partenaire. Le final a pu en surprendre plus d’un mais on y reconnait la signature d’un metteur en scène habile qui se joue de l’histoire avec un grand H. Car Il était une fois à Hollywood célèbre avant tout « la manière de faire » d’un metteur en scène qui revisite le cinéma de genre et le western italien en particulier. Aucune nostalgie mais plutôt une sorte de relecture du passé , très bien mise en scène et savamment orchestrée par une BO très pointue et immersive. Michel Senna
Quoi de mieux que de se réfugier dans une salle de cinéma climatisée pour échapper aux 42° qui ont carbonisé sur place les franciliens et franciliennes hier. Quittant plus tôt le bureau et ses 36° ambiant, je me suis rendu au cinéma le plus proche pour voir The Operative avec Diane Kruger. Je n’attendais rien de spécial de cet énième film d’infiltration. La surprise s’est avérée plutôt bonne. Le mérite en revient essentiellement à Diane Kruger, quasiment de tous les (gros) plans dans ce film, par ailleurs mis en scène de façon assez posée par Yvan Adler. La comédienne, à la beauté très naturelle, s’est appropriée ce personnage ambigu, sans attaches, ayant de la ressources, qui sert les intérêts du MOSSAD, avant de se découvrir des vrais sentiments pour l’une de ses victimes. Le scénario assez didactique est nullement partisan et malgré des facilités, ici et là, on pense à Lumet, Pakula ou Pollack, ce qui est plutôt flatteur. Le Mossad ne vaut certainement pas mieux, par ses moyens d’action, que les civils iraniens plus ou moins douteux qu’ils espionnent, à une époque où le pays cherche à se doter de l’arme atomique. La fin, bien menée, laisse une part à l’imaginaire du spectateur. Bref, un film qui fait un peu froid dans le dos, et c’est exactement ce que j’attendais en cette journée de canicule. Michel Senna
Il y a des films dont on sait, dès les premières minutes que l’on ne va pas décrocher un instant. Ei Reino est assurément de ceux là. L’histoire de ce politicard peu scrupuleux qui se retrouve impliqué dans un scandale et qui refuse de payer les pots cassés, est tout simplement passionnante. On suit, sans en perdre une miette, la marche de cet homme déterminé à protéger son train de vie et sa famille en contre-attaquant ses ex-comparses. La mise en scène de Rodrigo Sorogoyen est épatante, frénétique ou posée, illustrant toujours l’urgence du héros (?) qui se démène pour sortir la tête de l’eau. Le film offre une belle galerie de portraits de corrompus et l’interprétation est dans son ensemble épatante. Antonio de la Torre, quasiment dans chaque plan, insuffle une énergie incroyable à son personnage qui entre dans des spirales infernales. Thriller nerveux, haletant, et toujours surprenant jusqu’à son face à face médiatique final lucide et intense , El reino est très une grande réussite du genre. Michel Senna
Quel plaisir de revoir le grand Clint Eastwood devant la caméra et s’en donner à cœur à joie dans un numéro drôle et touchant dans lequel l’acteur montre davantage sa vulnérabilité et sa fantaisie. Dans la continuité de ses rôles de père et de mari raté, il incarne brillamment ce personnage qui, à l’aube de sa vie, tente une réconciliation avec les siens. S’il n’évite pas quelques outrances sur la description du monde des trafiquants et quelques scènes d’enquête policières un peu convenues, ce road movie s’avère très attachant et fait oublier les errements précédents de Clint. Ici, point de patriotisme exacerbé, aucune interrogation sur l’héroïsme, juste la vie d’un honnête homme, plutôt franc tireur, qui franchit la ligne blanche pour survivre et faire le bien autour de lui et réparer dans la mesure du possible. Parfaitement secondé notamment par Dianne Wiest, le film évite le pathos même dans ses moments les plus graves. On ne peut qu’espérer revoir Clint dans ses prochaines œuvres, car finalement il reste le mieux placé pour jouer des anti-héros Eastwoodiens ! Michel Senna
Un instituteur effectuant un remplacement dans une école provinciale, suite au suicide d’un professeur, se retrouve à la tête d’une classe d’adolescents surdoués au comportement bien étrange. A partir d’un postulat qui évoque de nombreux films étrangers des années 70, le réalisateur, Sébastien Marnier, a signé un film intrigant et plutôt soigné mais dont les références très nombreuses et l’oscillation permanente entre le suspense de genre, le film à thèse et le drame psychologique, ne permettent pas vraiment de croire à cette singulière histoire. Du reste faut-il être vraiment surdoué pour comprendre que le monde court à sa perte, et ce, dans l’indifférence générale. L’interprétation des jeunes acteurs manque un peu de naturel et pour sa part Laurent Lafitte, dont le jeu gagne en densité, promène son regard inquiet durant tout le film. On a un peu de mal à croire au vide affectif de son personnage homosexuel et à sa fascination pour l’œuvre de Kafka, notamment dans des scènes oniriques au symbolisme appuyé. Bref, trop fourre-tout pour convaincre et un peu prévisible dans son final spectaculairement pessimiste, L’heure de la sortie n’en reste pas moins un exercice de style formellement réussi. Michel Senna
Un film russe rafraîchissant sur une jeunesse désabusée de Leningrad, au début des années 80, amatrice d’un rock puissant importé d’Occident. Bien qu’un peu longue, cette chronique, tournée dans un beau noir et blanc, est plaisante et bénéficie de trouvailles visuelles du plus bel effet même si elles confinent vers la culture clip. Le contexte du communisme y est évoqué sous un angle plutôt satirique à travers un personnage qui rêve d’anarchie et de plus de libertés.