Albert Uderzo s’en est allé

Billet rédigé par Michel Senna.

Avec le décès ce mois-ci du dessinateur Albert Uderzo, c’est une page du monde de la bande-dessinée qui se tourne.
Le dessinateur et co-créateur des aventures d’Astérix et Obélix, irréductibles gaulois qui résistaient face à l’oppresseur romain, aura marqué, de son coup de crayon, les grandes années de l’hebdomadaire Pilote et aura formé avec René Goscinny un tandem complémentaire parfait.

Retour sur le parcours d’un artisan de la BD, indissociable de ses deux héros qu’il a dessiné sans interruption ou presque durant plus de 50 ans.

Albert Uderzo fait preuve de grande aptitude au dessin dès son plus jeune âge. Il ne débutera vraiment qu’après la guerre dans un studio d’animation, puis multiplie les piges comme illustrateur de romans ou dans les journaux. Il crée ses premiers personnages dans la revue Ok. Il travaille étroitement avec le scénariste Jean-Michel Charlier sur la série Belloy, et rencontre en 1951 René Goscinny avec lequel il partage le même goût pour un sens du burlesque hérité de leur passion pour Laurel et Hardy et Walt Disney. En 1957, ils créent ensemble le personnage d’Oumpah-Pah, travaillent tous deux au journal de Tintin puis en 1959 co-fondent le journal Pilote.

Commence alors la saga d’un personnage pittoresque évoluant à l’époque romaine : Astérix.

C’est le 29 octobre 1959 que débute « Astérix le gaulois », la première aventure, un rien fantastique d’Astérix et d’Obélix. Les deux auteurs créent un univers cohérent au fur et à mesure des histoires. Le succès immédiat contraint bientôt Uderzo à abandonner toutes ses autres séries et à se consacrer exclusivement à son duo de choc. Goscinny, lui, continuera de travailler pour d’autres dessinateurs dont Gotlib et Morris (Lucky Luke).

Uderzo affine son trait, d’album en album, et crée de nombreux personnages avec des nez généreux, une marque de fabrique du dessinateur. Idéfix, un chien trouvé sur les routes de Gaule les rejoint les deux compères dans la cinquième aventure « Le tour de Gaule ».

Chaque année paraît une nouvelle histoire, d’abord dans Pilote, puis après en album. Le dessin ouvertement caricatural d’Uderzo est aussi l’occasion de faire intervenir des célébrités, citons entre autres : Charles Laugthon dans « La serpe d’or », Les Beatles dans Astérix et les bretons, Lino Ventura dans La Zizanie, Yves Montand dans « Le cadeau de César », Raimu dans « Le tour de Gaule » ou encore Guy Lux dans « Le domaine des dieux ».

Les mots d’esprit de Goscinny, le goût pour les anachronismes et les stéréotypes, sont mis en valeur par le dessin très expressif et minutieux d’Uderzo. D’album en album la qualité ne fait qu’augmenter, atteignant des sommets avec « Astérix et les helvètes » (!), mais surtout « Astérix Legionnaire » et « La zizanie » qui sont deux très grandes réussites du duo. Les gimmicks participent au succès de la série, qu’il s’agisse des pirates de la mer toujours malchanceux, d’Assurancetourix le barde qui essuie quelques plâtres avec ses compositions, des colères de César ou des querelles incessantes et bon enfant des villageois. Astérix et Obélix voient du pays, mais à leur retour, ils aiment toujours autant se réunir autour d’un banquet très festif. Rarement, l’esprit très français « de la bonne chère » aura été si bien croqué !

Plusieurs générations de lecteurs attendront impatiemment chaque nouvelle aventure dont certaines seront à partir de 1967 animées par Uderzo et Goscinny au cinéma, Pierre Tchernia, un fan et un ami du duo de la première heure, collaborera souvent aux scénarios de ces films d’animation.

Après la mort prématurée de Goscinny en 1977, Uderzo continue la série, non sans heurts

avec la maison d’édition Dargaud. Le dessin restera jusqu’au bout de grande qualité mais les histoires seront souvent moins marquantes. Il manquera presque toujours l’esprit d’un Goscinny.

Des années 80 à nos jours, Asterix et Obélix resteront très populaires et seront souvent adaptés au grand écran pour le meilleur et parfois le pire.

Homme d’affaires avéré Uderzo lance en 1981 le Parc Astérix avec le succès qu’on lui connaîtra. Diminué, il passera la main à ses collaborateurs en 2013.

Uderzo fut un dessinateur talentueux qui, à l’image d’un Hergé ou d’un Franquin, fut toujours soucieux du lecteur et ne s’est pas économisé ni sur le plan quantitatif, ni sur le plan créatif. Mais si la série des Astérix ne se poursuivra pas, selon ses dernières volontés, les fans pourront toujours se replonger dans les nombreux albums disponibles et même découvrir de nouveaux détails savoureux, tant dans le dessin que dans le texte, qui n’auraient pas sautés aux yeux lors des précédentes lectures.