LA LIBERTE D’EN RIRE par Michel Baron

Michel Baron, qui suit nos travaux avec beaucoup d’attention et de pertinence, nous fait parvenir son analyse du film, vu à La Rochelle durant le FeMa : Le grand blond avec une chaussure noire

« La peur signifie et refuse le même fait : un monde où le meurtre est légitimé et où la vie humaine est considérée comme futile »
Albert Camus, ( Le siècle de la peur 1946)

Le Festival de Cinéma de La Rochelle est incontestablement une fête , un
lieu de réflexion et de plaisirs partagés. Avec, en embuscade, la surprise d’une découverte que l’on attendait pas, qui vient là, à la sauvette, autour d’un plat de sardines grillées, d’une salle obscure ou du soleil couchant sur les Tours du port.
Mon « chemin de Damas », cette année, s’est déroulé d’une étrange façon
et avait pour base ma réticence à voir ou revoir les films de Pierre Richard que je jugeais avec, je dois avouer, une certaine sévérité. Mais, après avoir fait la connaissance de l’acteur, présent au Festival qui l’honorait et finalement ayant trouvé sympathique ce bonhomme de 89 ans, tellement dynamique et bourré de projets que je me risquais à revoir le célèbre « Grand blond avec une chaussure noire » et, à ma grande surprise, je fus gagné par une énorme jubilation partagée par la salle et je me demandais l’origine de ce soudain engouement.
Bien sûr, il y avait le talent et le professionnalisme de Pierre Richard, Mireille Darc, Bernard Blier, Jean Rochefort, Jean Carmet et les autres, mais cela n’expliquait pas la tornade de rires provoqués par le film d’Yves Robert réalisé en 1972 et qui avait obtenu l’Ours d’Argent à Berlin en 1973.


Et soudain, je pris conscience combien ce film, jouant sur le comique de
situation où un homme distrait et banal va se trouver en toute innocence
victime des imbroglios des services secrets français.
Ce François Perrin, en fait, c’est nous ! Yves Robert, mine de rien, nous parle du rôle que les services de renseignement ont joué sur l’imaginaire français. Cette « guerre des services » et l’omniprésence du renseignement en France, a pris une forte extension durant la seconde guerre mondiale où les services secrets gaullistes de Londres disputait l’exclusivité du renseignement à d’autres résistants qui eux, travaillaient pour les services britanniques, allant jusqu’à les accuser de traîtrise !
A la libération, où débute à la fois la décolonisation et les problèmes intérieurs, le rôle du renseignement va devenir exponentiel et, chose dangereuse, s’autonomiser de plus en plus dans ses actions, sans qu’il y ait un contrôle sérieux de l’État sur le bien fondé de certaines opérations et la non-justification d’une surveillance accrue des citoyens. Le comble de cette tendance sera bien entendu durant la guerre d’Algérie où les « barbouzes » s’en donnent à cœur joie !
Les habitudes étant prises, après les accords d’Evian, les services de
renseignements désireront poursuivre leur omniprésence sur la vie
française, avec à la clef, des scandales retentissants ( Affaire Ben Barka,
création du SAC, écoutes non-justifiées, etc…). Les services de
renseignements participeront fortement au corsetage de la société
française sans s’apercevoir que l’évolution des moeurs se produit et que
cette surveillance permanente devient insupportable.
Mai 68 sera la fin de Jacques Foccard comme idéal !

  1. Avec un culot à toute épreuve, Yves Robert, tourne en dérision ces
    fonctionnaires ridicules, arrogants et parfaitement inefficaces. Ce qui sera repris, avec bonheur, dans la caricature de OSS117 par Jean Dujardin quelques années plus tard !
    Revoir ce film, c’est finalement en arriver au conte indien sur la vérité :
    dans le noir, on croit voir un serpent qui n’est en fait qu’un bout de ficelle.
    Et on en rit, on en rit, enfin libérés d’un drôle de climat d’anxiété.

Michel BARON